Yougo Jeberg
25 ans c’est le bel âge, celui de toutes les odyssées, toutes les expériences. A 25 ans on s’accoquine avec la foudre, les éclairs, faut que ça aille vite, on fraye un temps avec la fureur, on songe toujours à partir, la semelle décollée, peu importe où, l’horizon comme seul empêchement. A 25 ans on a l’innocence cousue au tripe, à 25 ans on ne sait pas la mort, mieux : on lui propose d’aller se faire foutre -et on s’amuse qu’elle n’y puisse pas grand chose… 25 ans c’est aussi l’âge de Yougo Jeberg, un photographe français qui passe son temps entre Paris, New York et Los Angeles. Son travail est à l’image de ses jeunes années : plein de vie, de musique, de liqueur et de route… “Ce que j’aimerais qu’on dise de mon travail ? Que la photographie est pour moi un prétexte à des rencontres, que cela doit encourager ceux qui regardent mes images à venir me proposer des choses encore plus folles” : à Cleptafire on a dit : “Banco !”
Ci-contre : Bannière étoilée en fleurs des champs, sur les épaules toute la beauté du monde, comme Atlas, du monde sur les épaule son pays le plus puissant, comme le peignoir des boxeurs, comme la cape sur les rois -ici c’est une reine, comme quand on couvre James Brown à genoux après son numéro pour ne pas qu’il prenne froid. Fleurs des champs, fleurs qui poussent dans les cheveux, dans le terreau blond et fertile d’une statue assise, de là à dire qu’elle est celle de la liberté il n’y a qu’une fleur que nous ne cueillerons pas…
Allégorie du printemps, nous reconnaissons l’une des Hespérides, les Hespérides sont filles d’Atlas, celui qui portait le monde sur son dos, les Hespérides peintes par Botticelli dans sa célébration profane de la jeunesse, jeunesse blonde entourée de fleurs, nymphes nues à peine voilée, qui, comme leur père, porte tout le destin du monde sur leurs épaules.
Yougo donc -c’est ainsi qu’on le surnomme, nous fredonne une chanson connue : “Smell like teen spirit”, ce riff de toute une génération, vous l’entendez dans vos oreilles ? Bon bah comme dans le refrain, ouvrez grandes les narines alors : ça pue-t-il pas notre jeunesse ? Enfin, celle qu’on aurait tous voulu avoir… Parce que, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on en prend plein les poumons,
on en prend plein les regrets aussi, peut-être, ceux de n’avoir jamais osé faire ça, là ce qu’on voit, “partir”, “errer”, se défoncer au kilomètre, se vider la jeunesse sur la route, vomir le plus longtemps possible, appuyer sur la pédale, pas le frein mais l’accélérateur : avant que l’ennui et le sérieux ne nous rattrapent. Mais Yougo en plus de tracer la route droit devant, mine de rien, nous donne une leçon… Laquelle ?! Brûler ses vingt ans par les deux bouts, ok : puis après ?
Ci-contre : À vos goulots citoyens ! Après les périples et avant d’y retourner, détour par Paris, Paris qui paraît-il est une fête… Bastille day dans le croisement de deux lignes : la verticale érigée d’un organe révolutionnaire et l’horizontale apaisée d’une bouteille pleine de soleil. Une croix de Lorraine propre à Paris…
L’insouciance des jours de Juillet, l’insouciance des soleils qui se couchent à Paris, l’insouciance des goulots qui soignent, l’insouciance d’avant, d’avant la mort, d’avant les balles. Le bal des pompiers à Paris quand le sang coule, Paris est une fête, pas seulement en Juillet, parce que sa colonne est toujours debout, le sexe de Paris plus fort que les trous dans les murs, corps debouts qui hurle à la lune, lune jaune, c’est le soleil dans une bouteille, corps qui jouit, Paris où l’on fomente, Paris où l’on danse, Paris ou l’on boit, Paris où l’on s’aime.
Aujourd’hui, vous faîtes quoi, vous êtes où ? Vous avez deux gosses, avec derrière la virgule la moitié d’un troisième à venir ? Et métro ça rime toujours avec “bouleau” au fait ? Oui, oui vous m’avez bien compris, “bouleau” je parle de l’arbre, parce qu’après la dernière rame, au bout de la correspondance forestière, il y aura le poinçonneur des “sapins” :
ça ne sentira plus le jeun’s vous verrez, mais le bonbon la vosgienne. Pulsions de vie, Bacchanales, pampres de chairs, du bitumes et de la poussières, de la vitesse, toujours de la vitesse, le pied qui appuie à fond, pour que la mort ne puisse tenir la distance, pour que l’ennui et le sérieux jamais ne viennent. Ha si seulement on pouvait tenir la distance…
Rien que pour ça, les images de Yougo sont nécessaires : se rappeler d’où on vient et surtout où on va… Sur la route donc, à défaut de savoir pour où, pour qui, pour quoi, avec ces gamins on roule encore et toujours et c’est là bien l’essentiel : ” Our little group has always been and always will until the end “, il disait ça aussi Kurt.
“Chacun traduira mes images comme il veut bien l’entendre, il s’identifiera peut-être, moi je mets juste des images sur internet, pour avoir des souvenirs et pour que les gens dont j’ai pris un moment de vie aient une trace de nos escapades.”
Ci-contre : “Le Pick up est à l’Amérique ce que le cheval est à Zorro”. Je ne sais plus où j’ai lu ça. Peut-être l’ai-je inventé. J’ai toujours voulu avoir un Pick-up, aussi loin que je m’en souvienne, suffit de poser un matelas derrière et on a plus besoin de rien. Rouler, s’enfoncer dans la sauvagerie des routes sans nom, ne jamais s’arrêter, non jamais. Et puis rouler putain, parce que ça vaut bien tout le reste, rouler au volant d’un pick up défoncé et increvable, rouler à s’en faire vomir les yeux, ouvrir la fenêtre, s’encrasser les poumons, laisser le cendrier déborder. J’allais oublier : le radio-cassette (j’imagine que dans un vieux pick-up on ne peut mettre que des cassettes). Sortir de vielles compilations faites par l’ancien propriétaire de la boîte à gants, écouter en boucle, s’habituer à des groupes de country qui chique chaque syllabe, au banjo bégayant et au violon fatigué, s’enfoncer dans la sauvagerie des routes sans nom et ne jamais s’arrêter.