Patrick Joust
Né en 1978 dans la petite ville d’Oroville en Californie, Patrick Joust vit aujourd’hui à Baltimore dans le Maryland sur l’autre « coast » des Etats-Unis. Bibliothécaire dans sa ville d’adoption, il travaille principalement à portraiturer ses quartiers, les gens qui y vivent. Il trouve dans l’argentique un aspect « concret » dont l’esthétique convient parfaitement à son travail d’archivage effectué au format moyen. Un immeuble, une voiture, une rue, quelque chose d’un peu d’inhabituel et devant laquelle on passe sans s’arrêter, quelque chose qui pourrait être facilement oubliée et qui pourtant n’attend qu’une attention particulière, un simple coup d’œil… Voilà ce que recherche Patrick : des sujets à priori banals qui manifestent une aura, des lieux chargés de chaleur humaine et autour desquels s’organise une vie. Ainsi le contact avec les gens qui habitent ces lieux est primordiale pour le photographe : “qu’un vieil appareil fasse tomber les barrières sociales et puisse fixer la beauté et de géographies normalement ignorées ou inclassables, voilà mon principal objectif”.
“J’ai toujours aimé regarder des photos, mais je n’ai commencé à apprécier la photographie comme un art il y à peine 10 ans. Ça semble fou de dire ça aujourd’hui, mais à l’époque le genre documentaire me semblait quelque peu facile : c’était avant que j’essaye d’en faire moi-même… J’avais le sentiment que n’importe qui pouvait prendre une image, qu’il y aurait toujours une forme de vérité contenue dedans. Depuis j’ai découvert qu’il fallait beaucoup plus de travail pour obtenir un discours et encore plus pour dégager une cohérence.”
Une cohérence, de la sincérité, un discours, Patrick n’en manquent pas. Il suffit de s’attarder sur ses portraits, ses scènes de vie pour comprendre que l’on a affaire à un auteur, un regard, que la matière du monde est passée par le “filtre” d’une volonté… Que s’agit-il de documenter ? Baltimore, un port industriel en décrépitude, une économie en faillite, une des villes les plus criminogènes des Etats-Unis : pour les connaisseurs et pour vous donner une idée de l’ambiance on y a tourné la série culte the wire, mais aussi la plupart des épisodes
les plus sombres de x-files, le silence des agneaux, l’armée des douze singes. Pour dire qu’elle n’inspire pas forcément la joie de vivre… Sauf que. Sauf qu’ici on y retrouve pas les décors glauquissimes des références précités. Comme quoi un “regard” ça sert aussi à ça : proposer autre chose, orienter vers une couleur différente. Peu importe si tout le monde a préféré miser sur la pluie, les ténèbres, les gangs, la jungle, Patrick lui, à côté certes de ces “ombres” qu’on devine en filigrane, va chercher des sourires, de la dignité, des gens qui passent, s’arrêtent, offrent un peu d’eux.
Comme quoi une “image-document”, loin de l’objectivisme pur et dur, peut raconter beaucoup de choses, parfois le tout et son contraire, c’est selon la main qui manoeuvre derrière… C’est donc bien l’angle qui compte, le degré avec lequel on aborde une réalité. La preuve qu’un regard produit un “autre monde”, la preuve que l’auteur existe, la preuve aussi, quand il s’engage à “documenter”, de la responsabilité qui lui incombe… On a rien sans rien.
Cleptafire : Un mot sur ton matériel ? Tes sources d’inspiration ?
Patrick Joust : “J’utilise différent appareils. Mon Leica M3 est un vieil ami… Mais en termes de déclenchements, mes Yashica Mat, Ricohflex et Rolleiflex sont les plus souvent sur le terrain (pour le tout venant). Depuis cet été j’utilise un Mamiya C330 pour la photographie de nuit à cause de son écran fantastiquement brillant, il est probable qu’il restera mon outil de prédilection pour ce genre d’image.”
“Des références il y en a beaucoup, mes amis Michael Wriston et Tim Castlen ont été particulièrement influents, mon travail a d’ailleurs commencé à s’améliorer significativement après des shootings avec eux. J’ai intégré leur “groupe” de photographes appelé le Film à Baltimore il y a quelques années déjà et beaucoup de ses membres m’ont également pas mal inspiré. Je fais aussi souvent un tour du côté de flickr et tumblr, c’est fou le nombre de talents inconnus qui s’y trouvent…”