Steven Brooks
Steven Brooks, 45 ans, est né aux îles de San Juan dans l’état de Washington, USA. Fils d’un père ébéniste et d’une mère galeriste, il fait ses premières armes photographiques dès l’adolescence. Bien qu’il entreprenne des études en musicologie, il persévère et se construit une véritable chambre noire, refuge où, nous dit-il, il s’enfermera jours et nuits… Il y apprendra son art, la science du développement, la façon dont on sort un bon tirage. De ces années d’expérimentations, d’errance dans la ville, il garde aujourd’hui une fascination restée inassouvie pour la lumière, ses sources et ses rebonds, la façon surtout dont elle produit ses effets sur l’architecture. Pour la série qu’il nous présente, “Gas Station Coffee”, en plus du résultat de ce parcours d’autodidacte acharné, Steven nous dévoile sa réflexion sur l’amérique, son amérique à lui, l’intimité de ses banlieues, la façon dont on y circule, on y dort, on s’y réveille… Souvent avec la gueule de bois. Bienvenue donc juste à côté, bienvenue en marge du continent-Roi, comme on dit : bienvenue dans l’envers du décor, bienvenue chez Steven Brooks.
L’Amérique aux aurores, ça vous dit ? Celle qu’on voit au cinéma quand les héros rentrent chez eux, qu’ils font un détour du côté d’un “coffee” ? La voici, vous l’avez sous les yeux, plus pour très longtemps d’après ce que nous confie Steven Brooks, alors profitez-en. Car Steven est l’archéologue d’un présent presque révolu, que traque-t-il ? Dans ces moindres recoins des traces de la chaleur américaine, les métatarses de ce qui fait encore (hier?) son humanité, ces criques où pas plus tard qu’hier l’on croisait les retours de pêche de
Bukowski, lui qui aurait pu dire d’une photo de Steven : “Le bar près du dépôt avait changé six fois de propriétaires en un an. Tour à tour boîte à strip, restau chinois puis mexicain, vendu à un cul de jatte, et ainsi de suite (…)”. “cette série « Gas station coffee » commencée comme un moyen d’occuper mes insomnies chroniques est rapidement devenue une véritable addiction, addiction au silence, à la solitude, et surtout aux lumières si particulières qui accompagnent la toute fin de la nuit et/ou la naissance du jour.”
Sous les néons, la nuit donc : la nuit, mais sans le sable, sans les marées. On y vogue d’un phare à l’autre, ça clignote, ça grésille, les récifs sont des bouches d’incendie, des trottoirs, en Amérique les phares sont des enseignes avec du gaz à l’intérieur… Les marins sont des serveurs, des caissiers, des mecs plantés là, entre deux eaux, les chauffeurs, les VRP, eux, ont jeté l’ancre aux pieds de paquebots-motels, ça pionce encore pour quelques heures.
“Bien qu’en voie d’effacement de nos jours, le bord de route américain est encore plein de ces lieux appartenant à notre héritage culturel. Il n’y a pas si longtemps encore, ces routes accueillaient les automobilistes fatigués, leur offrant l’opportunité de manger quelque chose, de pouvoir se reposer; mais tout ça c’était avant que les autoroutes ne divisent nos villes entre nord et Sud, Est et Ouest…”
“Je vois cette série comme une étude sur la fierté et le cynisme américain, la ligne floue qui les sépare. Je la vois comme une description littéraire et anthropologique de ce que nous sommes, mes images, orgueils ou sarcasmes, interrogent sur l’avenir individuel et collectif, sur l’espoir et la résignation, un résumé, peut-être, de l’éthos américain.”
Sous les néons, la nuit donc : on y vend des flingues et de la camelote, des sacs en papier pour cacher la bière, ça sent peut-être bon l’essence, ça sent le givre en tout cas, il faut faire attention où l’on marche. Grande rue des ports autoroutiers, on charge et on décharge, CinémaScope d’un polar de Donald Ray Pollock, il ne fait plus vraiment nuit, le mauve se lève, le turbin bientôt, la turbine des bateaux à moteurs, se lever, acheter une bière, un flingue ou des big red, puis prendre la putain de route, c’est toujours tout droit, continuer, jusqu’à épuisement.
Néons de l’Amérique, qui condense tous les rêves des dormeurs américains, l’Amérique en couleur, errer dans la nuit, entre les voitures, errer au petit jour, tout ça pour en décrocher des lunes et des vessies. Marcher dans une Amérique qui n’est déjà plus, Steven Brooks enregistre, archive, questionne, il marche au tempo du rêve des autres, ceux qui dorment et ne se reposent pas dans les motels, ces rêves qui tourbillonnent dans les néons blafards, l’Amérique c’est toujours tout droit, il ne faut jamais s’arrêter, jusqu’à épuisement…
C’est une étude sur la fierté et le cynisme américain, la ligne floue qui les sépare, une description littéraire et anthropologique de ce que les américains sont, des images d’orgueils et de sarcasmes, qui interrogent l’avenir individuel mais aussi collectif, l’espoir et la résignation, un résumé, en somme, de l’éthos américain -et pardon si nous reprenons les mots de Steven…