Gilles Berquet
“Comment photographier la nudité du sexe jouant avec lui-même ou se représentant dans la crudité solaire de l’artifice ? De quelle manière aborder ce huis-clos mystérieux et peuplé de monstres auquel se résume l’érotisme de tout un chacun ? Est-ce que l’objectif de la chambre obscure ne trouble pas le jeu de la chair quand se théâtralise une volonté de paraître au miroir du désir et du plaisir joués ? Doit-on craindre la fuite de l’âme quand le déclencheur obture le rideau mécanique devant la mise en scène d’une femme nue, fardée, préparée, maquillée, vêtue comme un bel insecte sulfureux et prometteur de jouissances denses et rares ? Que vole-t-on aux modèles transfigurés en icônes de la loi érotique en les couchant sur les sels d’argent ? Les images de Gilles Berquet répondent à ces questions et ouvrent l’abîme de corps écrits.” ** Né en 1956 à Saint-Mandé, Gilles nous fait l’amitié de mettre le feu aux poudres, et c’est peu dire que nous en prenons plein les yeux… Cet incendie est aussi l’occasion de baptiser une nouvelle chronique, celle d’Héloïse, notre modèle-reporter, pour la lire et comprendre de quoi il s’agit, rendez vous : ici.
Le photographe / Le modèle
Deux séries qui se renvoient l’une a l’autre par le jeu du miroir de l’appareil photographique. C’est le propos du photographe photographié photographiant son modèle, de l’arroseur arrosé des frères Lumière ; et celui du modèle qui livre son corps à l’objectif du photographe afin qu’il le sublime, tel le miroir à la source du mythe de Narcisse. La ou la photographie s’avère être un jeu de rôle dont les acteurs
finissent par se mêler au point qu’on ne sait plus si l’on parle d’une photo d’untel (le photographe qui a pris le cliché) ou d’un(e) autre (le modèle sur la photographie). Ainsi parlera t’on par exemple d’une “photo d’Elmut Newton” ou d’une “photo de Madonna” pour un même cliché. Dans la série “le modèle”, ce qui est mis en avant c’est cette fierté et cet amour de lui qu’a le modèle à exhiber son corps avec ses qualités ou ses défauts, ou il n’est plus seulement un modèle pour un photographe mais un Modèle universel.
La Photographe
Dans la série “la photographe”, c’est mon assistante qui prend la photographie du modèle, alors que j’enregistre la totalité du champ de cette scène, c’est à dire également les vestiges (les objets alentours) qui racontent toute l’histoire de la séance.
Stars in my studio
De la nature du corps à celui de l’univers il n’y a guère que quelques millions d’années lumières d’évolutions que j’ai voulu réunir dans mon studio de photographe, en y simulant le processus de la genèse par un savant travail sur la lumière. Ainsi, une source lumineuse (le soleil) éclaire t’elle une multitude d’objets brillants ou reflétants (planètes, astéroïdes) qui renvoient ses rayons dans toutes les directions qui donne naissance à une myriade d’étoiles. C’est le principe auquel je me suis attaché pour réaliser cette série, comme une copie en miniature de notre univers.
Women
Women est une série initiée 2008, qui se développe tel un catalogue, mais qui n’a pas pour autant cette volonté, ni exhaustive ni comparative, que le terme catalogue sous entend. Le corps des femme y est montré, dans son simple appareil (ou presque), et témoigne de l’instant ou, pour la première fois, le modèle est nu face au photographe. Le protocole est simple et invariable : L’éclairage est composé de deux tubes fluorescents disposés de chaque coté hors cadre, et le fond constitué d’un rideau comparable à celui d’une cabine de photomaton.
Le modèle n’a pour seul instruction que d’être là, c’est à dire nu devant l’objectif, en pleine lumière, avec sa pudeur, sa fierté, son défi, sa gêne, ou tout autre sentiment que la situation lui inspire. Il n’y a pas de sélection des corps en fonction de leur particularité physique ou ethnique, ce sont simplement ceux des femmes qui viennent poser dans mon studio. Il s’agit de montrer des femmes d’aujourd’hui dans le rapport quelles entretiennent avec leur corps, de montrer leur beauté, mais nullement d’y trouver en les comparant ou en les amalgamant une quelconque “femme idéale”.
**L’extrait cité a été écrit par Michel Onfray pour préfacer l’ouvrage monographique de Gilles Berquet «Sur Rendez-vous» (éditions J.P. Faur – 2000), il a été repris par son auteur dans son Journal Hédoniste (tome 4) «La lueur desorages désirés» (Grasset – 2007).